WeeFin vous propose un décryptage de ce paysage réglementaire et des cadres de référence mis à disposition pour évaluer les plans de transition des émetteurs.
Pour illustrer notre analyse, nous avons eu la chance d’interroger Romane Delevoie et Vincent Kiefer de l’ADEME, co-fondateurs de l’initiative ACT et Luc Olivier, gérant d’un fonds climat et biodiversité chez LFDE.
Le Fonds Monétaire International estime qu'un investissement annuel supplémentaire de 3 740 milliards d'euros, en plus des 830 milliards d'euros déjà nécessaires, sera indispensable d'ici à 2030 pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris d'ici 2050.
À cet égard, l'Action Climat des Nations Unies identifie cinq stratégies clés pour accélérer la transition vers les énergies renouvelables. L'une d’entre elles préconise notamment de tripler les investissements dans ces énergies bas carbone, mettant donc en avant le rôle essentiel que joue le secteur financier dans la transition écologique.
Cette nécessité d’opter pour une vision à long terme afin de favoriser la transition est soutenue par Luc Olivier, gérant chez LFDE du fonds Échiquier Climate & Biodiversity Impact Europe :
Les entreprises qui innovent dans le domaine des technologies propres, de l'énergie renouvelable, et qui adoptent des pratiques durables sont susceptibles de se positionner avantageusement face aux défis futurs.
Pour orienter ces flux financiers, il est nécessaire de mettre à disposition des acteurs des définitions communes et claires. C’est pourquoi la taxonomie européenne a défini un "actif en transition" comme un investissement qui respecte les trois conditions suivantes :
Néanmoins, cette notion doit également inclure le volet social à travers notamment le principe de la transition juste, associé à une transformation équitable pour l'ensemble des parties prenantes. Ainsi, malgré une volonté d’apporter un langage commun sur ce terme, il n’y a pas de définition unique à ce jour permettant d’aider les acteurs.
Toutefois, les réglementations ESG et initiatives ont l’ambition d’intégrer cette notion dans leurs textes à travers des dispositifs tels que le label ISR, la SDR, la TCFD et la CSRD. Ils encouragent les entreprises concernées à réévaluer leur stratégie ainsi que leur portefeuille d'investissements, en intégrant l'aspect de la transition à différents niveaux. Ainsi, même si le cadre réglementaire relatif à la transition reste flou, notamment pour les acteurs financiers, il commence à se stabiliser avec la publication prochaine des plans de transition climat, selon Romane Delevoie et Vincent Kiefer de l’ADEME qui mettent également en avant la nécessité d’harmoniser les différentes réglementations - afin de faciliter la compréhension et la coordination d’initiatives et de pratiques des différents acteurs du marché.
En effet, à ce jour, chaque réglementation et initiative met en avant la notion de transition de différentes manières. Pour certaines, cela se traduit à travers la mise en place de contraintes quantitatives telles qu’un investissement minimum dans des actifs en transition, d’autres via des obligations de transparence sur la construction des plans de transition. Afin de comprendre les méthodes d’intégration de la transition au sein de ces lignes directrices, WeeFin vous propose le tableau comparatif suivant :
Une intégration systématique de la notion de transition dans les réglementations futures ?
Étant un sujet essentiel à l’atteinte des objectifs internationaux de neutralité carbone, nous pouvons imaginer que la transition sera intégrée dans chaque nouvelle loi. A titre d’exemple, la proposition de refonte de la réglementation européenne SFDR, en cours d’évaluation, inclut elle aussi un élément de reporting sur la transition, via l’intégration d’une question sur les objectifs de décarbonisation du produit financier dans le template de l’annexe précontractuelle.
Toutefois, bien que ces textes évoquent la transition via des exigences quantitatives et/ou de reporting, ils ne fournissent pas de méthodologie spécifique pour la construction d’une stratégie liée à cette notion, mais recommandent l’utilisation de cadre de références déjà existants, tels que l’initiative ACT ou encore le TPT (transition plan task force).
En effet, comme précisé par Romane Delevoie et Vincent Kiefer, parlants de l’initiative ACT, à laquelle LFDE contribue activement au sein des groupes de travail :
Qu’ils soient de petite, moyenne, ou de grande taille, les acteurs financiers manquent actuellement de plans de transition, dû notamment à la difficulté d’en saisir pleinement les implications associées.
Pour répondre aux exigences énoncées ci-dessus, les acteurs financiers doivent mettre en place des stratégies liées à la transition dans la gestion de leurs produits financiers. Celles-ci peuvent être associées à différentes approches, telles que l’engagement à travers le dialogue et le vote ou encore l’exclusion et la sélectivité de titres.
Pour cela, les acteurs financiers ont la possibilité de se reposer sur des cadres de référence déjà existant, tels que :
L’initiative ACT a développé plusieurs modules :
Il est en effet primordial d’analyser, en plus des objectifs climatiques promus par une entité, sa stratégie climatique soit l’ensemble des éléments qui lui permettront d’atteindre cet objectif. Comme l’expliquent les représentants de l’ADEME, “il arrive parfois que les objectifs fixés ne soient pas suffisamment ambitieux ou que le plan d’action climat mis en place par l’entreprise ne soit pas aligné avec les objectifs de l’Accord de Paris." Ainsi, pour permettre aux investisseurs d’intégrer la transition dans leur processus d’investissement, la World Benchmark Alliance a publié des indices, présentant le score ACT sur plusieurs industries, afin de mettre en avant le positionnement d’une multitude d’entreprises d’un même secteur par rapport à leur transition et contribution à une économie bas carbone.
Comment utiliser les résultats ?
L’initiative SBTi évalue les objectifs de réduction des émissions des entreprises et acteurs financiers. Après s’être engagé à définir une cible de réduction de ses émissions, l’acteur a 2 ans pour développer cet objectif qui devra ensuite être validé par l’initiative. Si les objectifs sont approuvés, les entreprises peuvent annoncer leurs objectifs et communiquer sur les stratégies pour les atteindre. Il est important de respecter le délai de 2 ans précédemment annoncé. En effet, plus de 200 entreprises ont récemment vu leurs engagements nets zéro supprimés par l’initiative, dû soit à un non-respect de la date limite pour fixer des objectifs de zéro émission nette, soit à un choix de ne finalement pas utiliser la norme SBTi.
Comment utiliser les résultats ?
Le modèle proposé par ZerloLytics analyse les plans de transition vers la zéro émission nette et se focalise sur la manière dont les entreprises allouent leurs dépenses d'investissement.
Cette évaluation mesure l'état de préparation et les progrès des entreprises vers le net zéro en quantifiant l'écart entre les émissions actuelles et les réductions nécessaires pour atteindre leurs objectifs climatiques. Ainsi, l’analyse effectuée offre un aperçu des investissements et des actions nécessaires à l’atteinte du net zéro, ainsi que de leurs impacts sur les revenus, les bénéfices et les allocations de CapEx.
Comment utiliser les résultats ?
Éviter le greenwashing ! Au-delà de devoir répondre à la réglementation, il est nécessaire de mettre en place une stratégie de décarbonisation robuste et transparente afin d’éviter toute pratique de greenwashing. Ainsi, pour identifier les plans de transition incohérents par rapport au niveau d’ambition promu, Reclaim Finance a publié un rapport en janvier 2024 présentant plusieurs indicateurs permettant d’identifier les « red flags » des plans de transition. Par exemple, un acteur qui promeut un plan de transition sans intégrer à sa politique d’engagement un processus d’escalade formalisé peut être accusé d’utiliser le greenwashing dans sa communication. A noter que ce processus est propre à chaque acteur financier.
En effet, Luc Olivier précise que chez LFDE, lorsqu’une alerte est déclenchée sur un portefeuille, un processus d'escalade est entamé, en identifiant d'abord les principaux contributeurs des écarts par rapport aux objectifs définis.
L'équipe gérant le fonds procède alors à des ajustements de poids dans le portefeuille, qui peuvent être motivés par des mouvements actifs, comme l'ajout de nouveaux titres. Chaque modification est examinée au cas par cas, en questionnant la valeur de chaque actif concerné. Le rééquilibrage du portefeuille est une action stratégique qui peut avoir des implications sur un an ou deux. Si les engagements ne se concrétisent pas comme prévu, le désinvestissement est alors envisagé.
En plus de ces méthodes, il est courant pour les sociétés de gestion d’avoir recours à des méthodologies internes. Luc Olivier nous présente celle employée par LFDE : « Étant donné les limites des données disponibles, qui sont souvent imparfaites et ne permettent pas une sélection précise des émetteurs, nous avons développé une méthode interne qualitative nommée Maturité Climat et Biodiversité développée il y a 4 ans avec l’aide du cabinet d’expertise ICARE, comprenant une checklist pour évaluer systématiquement les entreprises sur différents aspects de la durabilité et de la transition écologique. Celle-ci inclut l’analyse des trajectoires carbone passées et présentes des entreprises, la cohérence de leur plan de transition, la gouvernance (y compris l’existence de comités de direction dédiés au climat), et la qualité de la divulgation des informations liées au climat et la biodiversité. »
Ces méthodologies peuvent se construire en s’appuyant sur les cadres de référence précédemment énoncés et notamment la checklist de Reclaim Finance, basée sur les recommandations du groupe d'experts de haut niveau des Nations unies (HLEG). Celle-ci définit des critères minimums pour considérer un plan de transition comme robuste et se traduit par une analyse répartie autour de 5 étapes. Cette liste permet également d’évaluer l'exhaustivité et la pertinence des cadres de référence publics existants, en lien avec les plans de décarbonisation. Ainsi, un acteur financier peut définir ses propres critères d’évaluation des plans de transition en se basant sur la méthodologie de Reclaim Finance.
L'alignement de température consiste à se projeter sur un horizon de temps sur un ou plusieurs scénarios et permet notamment de mesurer le niveau de transition d'un actif vers l’objectif de 1.5°C de l'Accord de Paris. En attribuant une valeur d'alignement de température, les investisseurs peuvent comparer directement la performance climatique de différentes entreprises ou secteurs et orienter leurs investissements en fonction des résultats de température. Pour plus d’informations sur la méthodologie d’alignement, veuillez consulter cet article.
C’est notamment une des métriques que La Financière De l’Échiquier utilise pour s’assurer que son fonds climat & biodiversité est bien aligné avec une trajectoire inférieure à 2°C. Luc Olivier, gérant de ce fonds, met en avant l’importance de la mise à jour quotidienne de cette donnée et la mise en place de contrôles pour suivre la performance de son fonds. En effet, cela permet de piloter et de prendre des actions nécessaires en cas d’alertes relevées, telles que des rééquilibrages voire des désinvestissements si les engagements ne sont pas respectés.
La plateforme ESG Connect, en se connectant à plusieurs fournisseurs de données, offre la possibilité aux acteurs financiers de piloter et contrôler l’alignement de température de leur portefeuille. Ainsi, ESG Connect vous permet d’anticiper les risques financiers climatiques des entreprises et de vous assurer de la cohérence entre les résultats de température de vos portefeuilles et vos ambitions environnementales promues. Au-delà d’un outil offrant toutes ces fonctionnalités, l’expertise des équipes WeeFin permet également d’aider les acteurs à définir comment analyser ces plans de transition.