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Faire face au défi du changement climatique : comment la finance intègre-t-elle ces chocs à venir ?

WeeFin propose une analyse complète des risques climatiques, abordant leur définition, leur impact concret, les réglementations en vigueur, et la maturité des acteurs financiers face à ces défis. Manuel Coeslier, Lead Expert en Climat et Environnement chez Mirova, partage son expertise pour enrichir cette étude.
Rédigé par
Lyna MERRAR
Publié le
30/7/2024

Selon le rapport de l’Agence européenne pour l’Environnement (AEE), entre 1980 et 2022, les Européens ont subi des pertes de plus de 650 milliards d'euros en raison des catastrophes climatiques. Tandis que la fréquence et l’intensité de ce type d’événements augmentent, les acteurs financiers, poussés par la réglementation, s’interrogent sur la prise en compte effective des nombreux aléas climatiques qui pèsent sur leurs actifs. 

WeeFin vous présente un décryptage dédié aux risques climatiques : de leur définition à leur matérialisation en passant par les réglementations associées ainsi que le niveau de maturité des acteurs financiers sur ces enjeux. Pour illustrer notre étude, Manuel Coeslier, pose son regard sur le sujet, fort de son expérience en tant que Lead Expert, Climate & Environment chez Mirova. 

“En tant qu’investisseur responsable, Mirova souhaite mesurer ses risques climatiques. Pour répondre à sa raison d’être qui est de contribuer à la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD), et sur le plan climatique, de contribuer à la neutralité carbone globale,  doivent être compris les risques auxquels nous faisons face.”
Manuel Coeslier

Quels sont les risques climatiques et comment se matérialisent-ils ? 

En novembre 2020, la Banque centrale européenne, dans son Guide relatif aux risques liés au climat et à l’environnement, définit les risques climatiques communément divisés entre risques physiques et de transition. La Banque centrale européenne établit par la suite le lien entre ces risques climatiques et les risques financiers traditionnels. 

Cette semaine, l’article de Novethic permet d’illustrer l’incidence sur les activités économiques de ces facteurs environnementaux avec l’illustration du risque physique d’inondation. Effectivement, le cours de l’action Porsche perd 5% en raison d’inondations entraînant des pénuries d’aluminium au cœur de sa chaîne d’approvisionnement. Les entreprises doivent désormais se prémunir contre ces risques physiques qui amenuisent les livraisons, la production et les ventes. 

À titre d’exemple, un risque de transition auquel pourrait faire face un constructeur automobile tel que Porsche serait des restrictions sur les voitures thermiques dans une zone géographique par application légale.

La gestion de la chaîne d’approvisionnement, la maîtrise d’une transition vers une économie bas-carbone et plus largement la réduction de son exposition aux risques climatiques se révèlent ainsi cruciales pour assurer la résilience d’une entreprise quelle qu’elle soit. 

Mais comment l’appréhension de ces risques est-elle devenue un enjeu stratégique pour les acteurs financiers ? 

La considération de ces risques, pourquoi ? 

“En fonction de la typologie des acteurs, les enjeux ne sont pas les mêmes, mais les risques doivent être pris en considération de la même façon. Les gérants d’actifs doivent bien comprendre les risques climatiques pour les mitiger au mieux plutôt que de revendre les actifs très exposés et de transférer le risque vers d’autres acteurs, ce qui n’aura aucune influence sur l’économie réelle.”
  Manuel Coeslier

D’une part, les banques et les assurances doivent s’assurer d’une gestion de leurs fonds propres pour demeurer solvables. La solvabilité de ces acteurs financiers étant intrinsèquement liée aux risques, les aléas climatiques qui pèsent sur leurs actifs vont renforcer le besoin en fonds propres. Pour un autre motif structurant, à mesure que des zones deviennent non assurables, c'est le business model des assureurs qui est mis à mal.  

D’autre part, les sociétés de gestion doivent s’assurer de leur attractivité auprès des investisseurs institutionnels. Ces derniers prennent en compte la gestion des risques de leurs clients et notamment celle dédiée aux aléas climatiques. Par ailleurs, lorsqu’une société de gestion est cliente d’assureurs, elle doit dès lors calculer le coût SCR (Capital de Solvabilité Requis) des fonds et à l’avenir, ce coût devrait intégrer les risques climatiques. 

Ainsi, si le sujet de l’appréhension des risques climatiques constitue un enjeu très stratégique pour tous les acteurs financiers, comment ces derniers sont-ils poussés par la réglementation à prendre en compte ces aléas ? 

Quelles sont les réglementations associées aux risques climatiques ? 

Une première réglementation structurante sur le sujet des risques climatiques est française ! Effectivement, la Loi Énergie-Climat (LEC) dont découle la rédaction du rapport Article 29, apporte un cadre complet sur le climat et souligne plus largement la prise en compte des risques ESG. Si la partie 6 du rapport reprend les éléments constituant la stratégie d’alignement aux Accords de Paris, la section 8 du reporting est dédiée aux risques ESG. Au sein de cette partie, il est demandé une estimation quantitative de l’impact financier des risques de durabilité. Cette exigence, exhaustive et ambitieuse, incite les acteurs financiers à examiner le sujet des risques et à adosser à cette analyse, une quantification qui nécessite un modèle. 

Solvency II, la réglementation fixant le régime des assurances et réassurances européennes, a été amendée sur ses 3 piliers pour prendre en compte la durabilité. Les assureurs doivent désormais intégrer les facteurs de risques climatiques lors de l'évaluation des risques et de la détermination des niveaux de provisions techniques nécessaires pour garantir leur solvabilité et leur stabilité financière à long terme. Ils doivent également mesurer l’exposition de leurs actifs aux risques de transition et physiques et l’inscrire dans leur QRT (Quantitative Reporting Template). 

Par ailleurs, la question des risques financiers est de plus en plus discutée à l’échelle globale. A titre d’exemple, afin de fournir une base de référence mondiale pour les informations à fournir en matière de durabilité dans le reporting, deux normes de comptabilité durable IFRS sont entrées en vigueur en janvier 2024, elles deviendront obligatoires dans les territoires qui choisissent de les adopter. La norme IFRS S1 reprend des exigences générales relatives à la divulgation d'informations financières liées au développement durable, tandis que la norme IFRS S2 étaye les informations à fournir en lien avec les changements climatiques. Les attentes d’IFRS S2 sont cohérentes avec les recommandations publiées par la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures) visant à fournir des informations sur les risques et opportunités liés au climat afin d’aider aux décisions d’investissement.  

“La rédaction d’un Article 29 pousse beaucoup d’acteurs à se pencher sur les risques climatiques mais cela s’applique en France uniquement, ce qui constitue une goutte d’eau dans l’océan, la réglementation a encore du chemin à parcourir ”
Manuel Coeslier

Pour structurer davantage la prise en compte des sujets climatiques, de nombreux acteurs financiers se basent sur les recommandations des régulateurs. A titre d’exemple, l’EIOPA a publié, en août 2022, un Avis précisant les attentes des autorités de contrôle concernant l'intégration des scénarios de changement climatique par les compagnies d'assurance dans le modèle ORSA (Own Risk and Solvency Assessment). 

Les acteurs financiers ont-ils réussi à développer des modèles adéquats ?

Pratiques et limites de marché des modèles de risques climatiques 

Afin de mesurer la maturité des acteurs financiers français sur des sujets de durabilité et notamment Climat, WeeFin a publié une analyse basée sur l’étude d’une cinquantaine de rapports Article 29. Pour identifier les risques, les acteurs étudiés mettent en avant le suivi des notes ESG, les Due Diligence, les cartographies des risques et le suivi des controverses. 54% des acteurs précisent des mesures mises en place pour atténuer les risques, les plus utilisées demeurent les exclusions et l’engagement. 

De cette analyse découle également le constat que seulement 26% des acteurs étudiés estiment quantitativement l’impact financier de leurs risques. Parmi eux, plus de 60% utilisent la Climate VaR de MSCI. Cependant, seule la moitié des acteurs mesurant leurs risques les accompagnent de descriptions des impacts et de précisions sur les conclusions à tirer. Il s’agit d’une première limite évidente à la mesure que souligne Manuel Coeslier :

“La question de la mesure importe, mais une fois que l’incidence est évaluée et cohérente, cela ne veut pas dire grand chose sur l’impact, la vraie question est :  comment traiter la mesure ?”
Manuel Coeslier

Par ailleurs, d’autres limites de cette mesure et des modèles de risques sont explicitées par de nombreux acteurs comme le coût et l’incertitude des modélisations. Manuel Coeslier précise la difficulté de la modélisation : 

“On compte deux sujets majeurs qui freinent les modèles de risques climatiques. Premièrement, peu d’acteurs possèdent des bases de données offrant la géolocalisation des actifs dans lesquels ils investissent. Deuxièmement, le mapping des chaînes de valeur pour obtenir une exposition aux risques indirects des entreprises n’est peu ou pas encore intégré. L’analyse de la vulnérabilité est un exercice complexe qui devrait être fait sur-mesure. A titre d’exemple, mesurer la vulnérabilité d’un projet d’infrastructure est impossible sans se pencher sur le projet en lui-même, sans parler aux développeurs.”
Manuel Coeslier 

Ces bilans traduisent un exercice de modélisation qui reste complexe en termes de mise en œuvre et d’intégration des risques de long terme dans un modèle traditionnel. 

En somme, si la réglementation et les autorités compétentes semblent s’incliner davantage vers la prise en compte des risques climatiques et leur atténuation, l’état de maturité des acteurs financiers sur ces sujets demeure chancelant. Malencontreusement, l’exposition aux risques climatiques n’est pas encore considérée comme un enjeu majeur, ce qui questionne l’exercice de modélisation des risques, comme l’observe notre interlocuteur : 

“On évolue encore dans un monde où les acteurs qui ont aujourd’hui une performance intéressante ne seront pas ceux qui contribuent le plus aux Accords de Paris. A long terme, on sera perdants dans un monde +3/4°C.” 
Manuel Coeslier

Aujourd’hui, doivent être repensées les guidelines adressées aux acteurs financiers et poussées les limites des réglementations. Manuel Coeslier apporte sa vision des futures évolutions sur l’exposition aux risques climatiques : 

NZIF 2.0 (Net Zero Investment Framework 2.0) est pensé différemment pour séparer l’économie en macro-secteurs et valoriser les apporteurs de solutions. Un acteur financier peut être exposé à des émetteurs qui ont des empreintes carbone croissantes s’ils sont contributeurs pour l’avenir. A titre d’exemple, il est souhaitable à ce jour qu’un producteur d’éoliennes ait une empreinte carbone croissante.” 
Manuel Coeslier 

A suivre … 

Et Weefin dans tout cela ?

Notre plateforme ESG Connect permet d’intégrer toutes les sources de données ESG afin de piloter et de contrôler en temps réel vos indicateurs climatiques sur vos portefeuilles, d’anticiper l’exposition aux risques climatiques des entreprises et des secteurs d’investissement et à vérifier que les performances de température de vos portefeuilles sont alignées avec vos objectifs environnementaux.

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